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UNOG - United Nations Office at Geneva

05/01/2024 | News release | Distributed by Public on 05/01/2024 20:52

Gaza : « Partout où je regardais, il y avait des destructions », témoigne une travailleuse humanitaire

Après près de sept mois de guerre à Gaza, aucun endroit n'est sûr, les gens ont peur et tout le monde s'accroche à l'espoir d'un cessez-le-feu.

C'est le message de Louise Wateridge, chargée de communication auprès de l'agence des Nations Unies qui aide les réfugiés palestiniens, l'UNRWA, en poste dans la ville méridionale de Rafah.

Mme Wateridge, qui a déjà travaillé avec l'UNRWA, est récemment retournée dans la région et a été choquée par ce qu'elle a vu lors d'une visite à Gaza City, un endroit qu'elle connaît bien.

Une dévastation incroyable

« Je n'avais pas l'impression d'être dans la réalité quand j'ai vu par les fenêtres de la voiture qu'il n'y avait que des destructions à perte de vue », a-t-elle raconté à ONU Info.

Mme Wateridge a utilisé son téléphone portable pour documenter la dévastation dans des endroits tels que Khan Younis, où elle a visité une école abandonnée de l'UNRWA transformée en abri, qui abritait autrefois des dizaines de milliers de personnes déplacées ayant fui précipitamment les installations avant les bombardements israéliens.

« C'était dévastateur de voir des tombes non marquées, même dans un coin de notre centre de formation de Khan Younis », a-t-elle partagé. Sur le mur au-dessus de l'une des tombes des enfants, il y avait un message disant « Marwa, tu manques à ta sœur et elle t'aime ».

Cet entretien a été édité pour des raisons de clarté et de longueur.

Louise Wateridge : Au cours des deux derniers jours, je me suis rendue dans la ville de Gaza et dans le camp de Jabalia, ainsi qu'à Khan Younis. Je travaille dans la région depuis quatre ans, C'est la première fois que je viens depuis le début de la guerre et c'est incroyable de voir la ville de Gaza.

Nous nous sommes rendus avec le Programme alimentaire mondial (PAM) dans le cadre d'une mission conjointe au camp de Jabalia. Les deux agences travaillent en étroite collaboration dans le nord pour tenter d'y étendre la distribution de nourriture. Mais le trajet en voiture a été un véritable choc pour moi. Cette ville que je connais depuis des années et le fait de voir tout ce qui nous entoure complètement rasé.

Il y avait des maisons, que l'on pouvait identifier car elles étaient encore debout. Il manquait des murs et on pouvait voir les salons, les salles à manger. C'est comme s'il y avait de la vie. On voit très clairement la vie - des photos au mur, des vêtements dans la pièce - mais il n'y a personne à l'intérieur. C'était une expérience choquante et qui hante.

Vous avez fait référence à la vidéo que j'ai prise. J'étais assise à l'avant de la voiture. Partout où je regardais, il y avait des destructions. On n'arrive même pas à imaginer que c'est réel de voir une telle dévastation devant soi.

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Mais lorsque nous sommes allés à Jabalia, là les marchés s'étaient redressés et il y avait plus de monde. La bonne nouvelle de notre voyage, c'est qu'il semble qu'au cours des dernières semaines, il y ait eu beaucoup plus d'aliments commerciaux sur le marché, donc il y avait beaucoup plus de monde sur les marchés.

Mes collègues qui sont ici depuis bien plus longtemps que moi, m'ont expliqué qu'il y a deux ou trois semaines, l'endroit était très différent. Les gens avaient très, très faim, très peur. Il n'y avait pas grand-chose de disponible sur le marché, alors que lorsque nous y sommes allés ce week-end, il était très positif de constater que la situation avait quelque peu changé. Les agences, , l'UNRWA et le PAM, vont continuer à travailler ensemble pour s'assurer que les habitants du nord aient la nourriture dont ils ont besoin après tout ce temps.

ONU Info : L'UNRWA a-t-elle pu fournir une aide quelconque au cours de ce voyage à Jabalia ?

Louise Wateridge : Il s'agissait plutôt d'une évaluation des installations de l'UNRWA. 165 installations dans la bande de Gaza ont été attaquées ou endommagées. Nous avons donc vraiment besoin d'espace, d'entrepôts et de zones de distribution pour pouvoir décharger la nourriture et la distribuer à la communauté.

Ce voyage avait donc pour but d'évaluer ces installations pour voir où nous pouvions les restaurer, où nous pouvions recommencer à les utiliser.

Elles sont en très mauvais état et ont été très gravement endommagées. Le toit d'un entrepôt était percé d'impacts de balles et certains murs manquaient.

Nous avons également rendu visite à nos collègues. J'étais avec le Directeur des affaires de l'UNRWA à Gaza, Scott Anderson, et il s'est entretenu avec nos collègues du nord, à Jabalia, qui ont géré les services de santé pendant toute la durée de la guerre.

Nous avons un groupe de collègues incroyables qui continuent à se rendre au travail tous les jours. Ils sont eux-mêmes déplacés.

J'ai parlé à certaines des femmes du groupe et c'est dévastateur. Elles ont toutes perdu quelque chose. Beaucoup d'entre elles ont perdu plus que vous ne pouvez imaginer. Elles racontent qu'elles ont maintenant des maisons sans murs dans lesquelles elles vivent encore.

Elles sont restés très longtemps sans manger. Elles parlent des difficultés qu'elles ont eu à aller travailler et à servir la communauté, puis à rentrer chez elles pour retrouver leurs enfants le soir, en essayant de mettre de la nourriture sur la table alors qu'elles sont toujours au travail.

ONU Info : Se sentent-elles un peu plus en sécurité aujourd'hui ?

Louise Wateridge : Je ne pense pas que quiconque se sente en sécurité. Non, pas du tout.

On ressent un léger soulagement du fait qu'il y a plus de nourriture disponible. Rien qu'en voyant l'UNRWA et le PAM travailler ensemble dans le nord, les gens espéraient que ces deux organisations élargiraient la distribution de nourriture dans la région. Mais ils sont fatigués. Ils sont très fatigués. Ils ont très peur.

Ils ont subi plus que nous ne pouvons l'imaginer au cours des six derniers mois et demi. Et ils ont très peur de ce que demain leur réserve. Ils ont très peur qu'une nouvelle action militaire se produise. Ils ont peur d'être à nouveau déplacés. Ils ont peur de la nuit.

Je pense que personne ne se sent en sécurité.

Ils ont expliqué qu'ils rentraient chez eux avec leurs enfants et que ces derniers se sentaient chez eux, qu'ils dormaient ensemble et se blottissaient les uns contre les autres dans la peur. Il n'y a tout simplement pas de sécurité ici. Personne ne se sent en sécurité.

ONU Info : Parlez-nous de votre voyage à Khan Younis.

Louise Wateridge : Nous nous sommes rendus à Khan Younis dans le cadre d'une mission conjointe avec le Service de lutte antimines de l'ONU (UNMAS) afin d'évaluer la présence d'éventuels éclats d'obus, de munitions non explosées dans les installations de l'UNRWA.

Les visites dans les quatre installations - un centre de formation, un dispensaire et deux écoles - ont été dévastatrices. Je connaissais toutes ces installations avant la guerre, il était donc complètement dévastateur de voir l'état dans lequel elles se trouvaient aujourd'hui.

Ce qui m'a le plus choqué, c'est la rapidité avec laquelle les gens ont fui ces installations. Il s'agit de quatre énormes complexes de l'UNRWA.

Des dizaines de milliers de personnes se sont réfugiées dans ces installations de l'UNRWA et, presque du jour au lendemain, elles ont dû être évacuées. Les forces israéliennes ont donné l'ordre d'évacuer Khan Younis et d'évacuer ces installations de l'UNRWA.

En marchant, on pouvait voir des chaussures, des chaussures d'enfants - une ici, une là ; des brosses à dents, des brosses à cheveux, des vêtements, des chaussettes… de la nourriture à moitié mangée.

On avait l'impression que tout avait été abandonné très, très rapidement. Personne n'a eu le luxe d'emballer ce qu'il possédait là, et ce n'est pas comme s'ils avaient une abondance de choses avec eux à ce stade. Et pourtant, il y avait encore beaucoup de choses laissées derrière.

Certains de nos collègues du centre de formation nous ont fait part de leur expérience de cette situation, en nous disant à quel point ils étaient terrifiés, à quel point c'était terrifiant pour tous ceux qui s'abritaient là. Ils ont dû évacuer en l'espace de quelques heures.

Il était dévastateur de voir des tombes non marquées, même dans le coin de notre centre de formation de Khan Younis. Il y avait des tombes d'enfants. Sur le mur au-dessus de l'une d'entre elles, un message disait : « Marwa, tu manques à ta sœur et elle t'aime ».

On ne peut pas croire qu'il s'agit d'une installation des Nations Unies. On ne peut pas croire qu'il s'agit d'un endroit où les gens pensaient être en sécurité. Les murs du périmètre ont été complètement détruits.

Il y a des impacts de balles dans toutes les salles, presque toutes les salles de classe. Le toit a été clairement endommagé par une explosion. L'expérience vécue à Khan Younis a été dévastatrice, vraiment plus que dévastatrice.

ONU Info : Je voudrais vous poser une question sur notre collègue Abdullah, le photojournaliste qui a survécu aux bombardements dans le nord mais qui a dû être amputé des deux jambes. Pouvez-vous nous en dire plus sur son état de santé ?

Louise Wateridge : Nous avons eu une très bonne nouvelle cette semaine : notre collègue Abdullah a été évacué de Gaza pour des raisons médicales et se trouve maintenant à Doha.

Tout le monde à l'UNRWA est soulagé que lui et sa famille ne soient plus à Gaza. J'ai vu Abdullah mardi, en compagnie de collègues qui lui rendaient régulièrement visite dans un hôpital de campagne à Rafah.

Je pense que pour tout le monde, c'est comme si leur vie se terminait et que quelque chose d'autre commençait

Il avait besoin d'une opération supplémentaire qui n'était pas possible dans la ville de Gaza en raison de l'établissement dans lequel il se trouvait et des fournitures médicales disponibles. Nous sommes donc très soulagés qu'il puisse maintenant recevoir ce traitement. Le parcours d'Abdullah a été horrible.

Il a été emmené à l'hôpital Al-Shifa où il a d'abord été soigné. Cet hôpital a ensuite été assiégé par les forces israéliennes pendant deux semaines, et Abdullah est resté à l'intérieur pendant toute cette période. Nous ne pouvons pas imaginer ce qu'Abdullah a enduré, et nous sommes tous très soulagés et très reconnaissants qu'il reçoive maintenant le traitement dont il a besoin.

UNRWA/Louise Wateridge
Louise Wateridge de l'UNRWA à Rafah, au sud de Gaza.

ONU Info : Vous avez mentionné que ce n'était pas la première fois que vous veniez à Gaza. Qu'est-ce qui vous vient à l'esprit lorsque vous voyez toute cette dévastation et que vous vous songez à vos expériences précédentes ? Et quel est votre message ?

Louise Wateridge: Gaza a toujours été pour moi un endroit merveilleux où travailler.

Les collègues ici sont parmi les meilleurs avec lesquels j'aie jamais travaillé, pas seulement à l'UNRWA mais partout dans le monde.

Je me sens privilégiée d'avoir ces collègues et amis dans ma vie et c'est tout simplement épouvantable de voir la vie qu'ils mènent aujourd'hui. Je pense que pour chacun d'entre eux, c'est comme si leur vie se terminait et que quelque chose d'autre commençait.

Mon collègue Hussein me montrait des photos et des vidéos de son nouvel appartement dans lequel il emménageait au début du mois d'octobre. Il m'a montré une vidéo de l'immeuble aujourd'hui et il est complètement détruit.

Tout le monde raconte la même histoire : ils dorment maintenant sous des bâches en plastique ; ils sont entassés dans des pièces avec toute leur famille et leurs voisins. Personne ne sait ce qui l'attend. Tout le monde est visiblement fatigué.

Je connais tellement de visages familiers ici, mais ils ont tous l'air si différents après ces six mois et demi. On peut voir les souffrances que beaucoup de gens ont endurées.

Ils ont perdu beaucoup de poids, collectivement. Tout le monde a changé de manière significative en un laps de temps très court. Ils portent tous cette guerre.

Et je pense que le plus gros problème est qu'ils ne savent pas de quoi demain sera fait. Ils craignent beaucoup pour leurs enfants.

Chaque jour, les gens se demandent s'il y aura un cessez-le-feu. Et c'est à cela que tout le monde s'accroche.