Université de Montréal

05/03/2024 | Press release | Distributed by Public on 05/03/2024 12:03

Thérapie comportementale et sommeil: une bouée pour les travailleurs de nuit

Si vous faites partie du corps policier ou du personnel de la santé, si vous êtes pompière ou pompier ou encore si vous travaillez dans une mine, vous faites potentiellement partie des 25 à 30 % de la population ayant des horaires de travail atypiques.

Ces types d'horaires peuvent impliquer de travailler tôt le matin, mais aussi de soir et de nuit, et ils peuvent être fixes, en rotation ou imposer une mise en disponibilité. Et ces horaires non traditionnels, en particulier ceux de nuit et en rotation, ont une incidence importante sur le sommeil et la vigilance susceptible d'altérer la santé.

D'emblée, la somnolence pendant l'éveil et l'insomnie sont répandues chez ces individus qui voient leurs rythmes circadiens - ou leur horloge biologique - perturbés. Mais ce n'est que la pointe de l'iceberg: on répertorie aussi des symptômes dépressifs et anxieux, un risque plus élevé de troubles gastro-intestinaux et d'obésité ainsi que des problèmes cardiovasculaires. Certaines personnes peuvent même recevoir un diagnostic de «trouble lié à l'horaire de travail» lorsque les perturbations du sommeil et la somnolence sont suffisamment marquées.

Ces conséquences s'expliquent par un désalignement des activités et du bon fonctionnement des systèmes biologiques. «Nous sommes des êtres diurnes, toute notre physiologie est construite pour que nous soyons actifs le jour et que nous récupérions la nuit», explique Julie Carrier, professeure au Département de psychologie de l'Université de Montréal et chercheuse au Centre d'études avancées en médecine du sommeil du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l'Île-de-Montréal.

«L'horloge biologique peut s'adapter à des changements comme le décalage horaire grâce au cycle lumière et obscurité, poursuit la professeure. Chez les travailleurs de nuit, toutefois, le corps parvient difficilement à s'adapter, puisqu'ils doivent dormir quand il fait clair et être éveillés quand il fait noir. Ils vivent à l'encontre de leur biologie, autant pour le sommeil que pour la régulation des hormones et la digestion, le corps n'étant pas disposé à métaboliser la nourriture la nuit.»

Soucieuse de ce phénomène aux répercussions multiples et aux traitements limités, Julie Carrier cherche des solutions. Et voilà qu'avec sa collègue Annie Vallières, de l'Université Laval, elle a mis le doigt sur une avenue prometteuse.

Un potentiel… mais des entraves

Julie Carrier

Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal

Leur équipe de recherche vient de faire paraître une étude qui révèle que la thérapie comportementale adaptée au travail de nuit permettrait d'amoindrir les effets néfastes de celui-ci. Plus précisément, elle améliorerait le sommeil diurne tout en réduisant les niveaux de somnolence, d'anxiété et de dépression.

Concrètement, la thérapie comprend plusieurs étapes: déboulonnement de mythes liés au sommeil, partage de comportements à adopter lors de moments d'insomnie, thérapie de restriction du sommeil (réduire le temps passé au lit au maximum pour optimiser son efficacité) et prescription de fenêtres de sommeil pour le jour, la nuit et les siestes.

«Nos résultats sont très encourageants, s'enthousiasme Julie Carrier. Toutefois, cette étude a mis en lumière la difficulté d'accès à une telle thérapie pour des personnes aux horaires de travail atypiques.»

Désireuse de démocratiser cette solution, l'équipe de Julie Carrier et Annie Vallières est à mettre au point une application mobile qui permettrait de suivre la thérapie à distance. «Les patients restent encadrés par le ou la thérapeute, mais peuvent consulter les prescriptions de sommeil, les conseils et les bonnes pratiques à toute heure du jour et de la nuit. Cela permet aussi de réduire les coûts et d'accroître la capacité des thérapeutes», précise Julie Carrier.

«Un énorme enjeu de société peu dénoncé»

Outre les risques pour la santé, la perturbation du sommeil engendrée par les horaires de travail atypiques a des implications relationnelles et sociétales. On y associe par exemple des accidents de travail et de la route, des erreurs médicales, de l'absentéisme et du présentéisme.

Pour Julie Carrier et Annie Vallières, il s'agit là d'une problématique d'une importance criante qui devrait susciter des discussions entre les spécialistes des ressources humaines, les gestionnaires, mais aussi les experts psychosociaux, les chercheurs en sommeil et les travailleurs.

«Le sommeil n'est que très peu valorisé et il se trouve rarement dans les réflexions liées à l'emploi, souligne Julie Carrier. Or, le cas des travailleurs avec des horaires atypiques est très dérangeant. On parle ici de personnes qui pouvaient être à la base foncièrement en bonne santé et dont les horaires de travail sont susceptibles d'avoir des conséquences significatives sur leur santé et leurs liens sociaux, mais aussi sur la société en général. Le travail à horaire atypique est inhérent à de nombreux secteurs. Il est urgent d'ouvrir le dialogue et de trouver des solutions afin de minimiser ses effets négatifs.»