10/08/2024 | News release | Distributed by Public on 10/08/2024 01:10
Biodiversité 3 min
Face à la crise écologique, les bases de données se multiplient pour mesurer les tendances de la biodiversité, mais elles ne sont pas soumises à une évaluation systématique. Deux chercheuses françaises du CNRS et d'INRAE ont examiné la base de données mondiale InsectChange, qui compile des séries temporelles sur les insectes. Leur analyse approfondie révèle plus de 500 erreurs et problèmes qui remettent en question les résultats obtenus à partir de ces données, tout en fournissant des éléments essentiels pour améliorer InsectChange. Publiée dans Peer Community Journal le 8 octobre 2024, cette étude met en lumière les problèmes de qualité des grosses bases de données sur lesquelles se basent les méta-analyses pour évaluer les tendances de la biodiversité. Elle ouvre des pistes méthodologiques et appelle les revues scientifiques à mettre en place des mesures de protection, afin d'éviter des effets néfastes pour la science et par conséquent pour la qualité du débat et de l'action publics.
Publié le 08 octobre 2024
Le déclin des insectes soulève des enjeux environnementaux, économiques et sociétaux majeurs, menaçant la biodiversité, perturbant les chaînes alimentaires et impactant des secteurs essentiels comme l'agriculture et la santé. Pour évaluer les tendances de la biodiversité, les scientifiques s'appuient sur des bases de données de plus en plus nombreuses en écologie. Ces données alimentent des publications scientifiques qui influencent souvent l'opinion publique et les décideurs. Or la fiabilité des tendances estimées repose avant tout sur la qualité des données. Pourtant ces bases de données ne font pas l'objet d'une évaluation systématique et exhaustive.
L'étude révèle que la base de données InsectChange comporte 553 problèmes répartis en 17 types et 4 grandes catégories : erreurs, incohérences, problèmes méthodologiques et déficits d'information.
Publiée en 2021 dans la revue Ecology, la base de données InsectChange a été créée comme référence pour évaluer les tendances temporelles des populations d'insectes à travers le monde. Elle a notamment servi à la méta-analyse de van Klink et al., parue en 2020 dans Science, qui a relancé le débat sur la réalité et l'ampleur du déclin des insectes. Selon cette étude, le déclin des insectes serait moins important qu'on ne le pensait, les zones de culture agricole n'en seraient pas une des causes, et les populations d'insectes d'eau douce auraient même tendance à augmenter. Malgré de nombreuses critiques de la part de la communauté scientifique internationale, seul un erratum mineur a été publié, laissant inchangés les résultats de la méta-analyse, et véhiculant au grand public un message rassurant sur le devenir des insectes.
Une nouvelle étude parue dans Peer Community Journal a identifié plus de 500 problèmes dans la base de données InsectChange. Après une analyse minutieuse des 165 études qui y sont incluses, deux chercheuses du CNRS et d'INRAE démontrent qu'en l'état, cette base de données ne permet ni d'estimer les tendances des populations d'insectes, ni d'analyser les facteurs anthropogéniques qui les influencent. Les problèmes identifiés sont très variés et proviennent parfois d'autres bases de données utilisées dans les publications ayant alimenté la méta-analyse. S'ils relèvent parfois de la simple erreur de calcul facilement corrigible, ils sont le plus souvent d'ordre méthodologique nécessitant alors une restructuration complète de la base de données. Ces problèmes incluent notamment des biais d'échantillonnage, des unités de mesure non standardisées, des données issues d'expérimentations, des coordonnées géographiques inadéquates pour mesurer l'influence de l'agriculture ou de l'urbanisation grâce aux données satellites de couverture des terres.
Répartition et nombre moyens des types de problèmes rencontrés par jeu de données dans la base InsectChange : les erreurs (bleu), les incohérences (jaune-orange), les problèmes méthodologiques (vert) et les déficits d'information (rouge-violacé).Par exemple, de nombreux jeux de données concernant les milieux d'eau douce comprennent tous les invertébrés aquatiques, et des prétendues augmentations « d'insectes » correspondent en réalité à des proliférations de moules invasives, ce qui surestime la tendance des insectes d'eau douce. Un autre problème concerne la moitié des jeux de données d'InsectChange qui ne reflètent pas les dynamiques d'insectes en conditions naturelles, celles-ci étant souvent liées à des facteurs expérimentaux étudiés dans les publications d'origine mais rarement mentionnés dans InsectChange. Par exemple, des libellules colonisant des mares expérimentales créées spécifiquement pour les étudier sont comptées comme des données temporelles d'insectes en conditions naturelles. L'intégration de ces données expérimentales sans mention de leur contexte fausse les résultats, conduisant artificiellement à une augmentation des populations d'insectes. Par ailleurs, l'utilisation de données non standardisées dans InsectChange exprimées par exemple en g/m², mg/m² ou encore g/échantillon compromet la comparaison des séries temporelles et l'estimation des tendances globales des abondances ou biomasses d'insectes. Enfin, une surestimation de la couverture des terres agricoles, due entre autres à des données de localisation inexactes, conduit à écarter de manière infondée le rôle de l'agriculture parmi les causes possibles du déclin des insectes.
Les chercheuses ont détaillé leurs critiques pour chacune des 165 études qui alimentent InsectChange dans des fichiers supplémentaires, précisant l'origine des erreurs, afin de faciliter leur prise en compte par les auteurs de la base de données et ses futurs utilisateurs. Pour réaliser cette évaluation, elles ont développé une méthode reproductible, qui définit des critères spécifiques et regroupe les problèmes en quatre catégories : erreurs, incohérences, problèmes méthodologiques et manques d'informations.
Les chercheuses proposent une méthodologie reproductible pouvant inspirer l'élaboration de grilles d'évaluation systémiques pour garantir la qualité des bases de données.
Au-delà de son utilité pour les utilisateurs potentiels, cette analyse pointe la nécessité d'une évaluation systémique des bases de données qui se multiplient, notamment en écologie, sans toujours garantir la rigueur et la traçabilité nécessaires. La méthodologie développée pour examiner InsectChange pourrait inspirer le développement d'une grille d'évaluation généralisable. Ce travail met également en garde contre les risques d'une science toujours plus rapide. Il appelle les revues scientifiques à renforcer leur processus de révision par les paires (review) et à mieux prendre en compte les commentaires post-publication, afin de préserver la qualité de l'information scientifique qui est diffusée. Cela est crucial pour les revues de renom, dont les publications sont largement relayées par les médias.
Enfin, cette démarche inédite met en lumière le rôle fondamental de l'organisation de chercheurs à but non lucratif Peer Community In. En publiant l'examen complet des données d'InsectChange selon une démarche de science ouverte, avec un processus d'évaluation indépendant et transparent, cette organisation éditoriale participe à préserver l'intégrité scientifique et la qualité de la recherche.
Abeille mélipone (Apidae : Meliponini) sur le pollen d'une fleur de Nepenthes dans le nord de l'île de Bornéo. Comme beaucoup de pollinisateurs, ces abeilles sans dard sont en déclin dans le monde en raison de menaces telles que la perte d'habitat, les produits agrochimiques, le changement climatique et l'introduction d'espèces exotiques. © Laurence Gaume / CNRSREFERENCE
Gaume, L., Desquilbet, M. (2024). InsectChange: comment. Peer Community Journal, Volume 4 (2024), article no. e97 https://doi.org/10.24072/pcjournal.469
POUR ALLER PLUS LOIN
• La recommandation par Massol, 2024 dans Peer Community in Ecology
• La méta-analyse de van Klink et al., 2020 dans Science et les e-letters sur cette publication, le commentaire à son sujet par Desquilbet et al., 2020 et la réponse par van Klink et al., 2020 dans Science
• Le data paper InsectChange par van Klink et al., 2021 dans Ecology
• Le commentaire de Jähnig et al., 2020 et la réponse par van Klink et al., 2020 dans WIREs Water
• L'article par Duchenne et al., 2022 dans Peer Community Journal
En 2020, deux méta-analyses paraissent dans de grandes revues scientifiques, qui relativisent l'impact de l'agriculture sur l'abondance et la diversité des insectes. Dans des commentaires critiques publiés dans les mêmes revues, des chercheurs d'INRAE, du CNRS et d'autres organismes montrent que ces méta-analyses comportent des biais méthodologiques remettant en cause leurs résultats. Marion Desquilbet, co-autrice de ces contre-analyses, s'intéresse plus globalement aux relations entre l'agriculture et la biodiversité. Elle nous livre ses réflexions sur la construction des connaissances et l'apparition de controverses dans un contexte d'incertitude scientifique.
23 avril 2021
En 2023, une équipe de recherche bordelaise incluant des scientifiques d'INRAE, de l'université de Bordeaux et du CNRS déploie une déclinaison régionale du projet national SPIPOLL (Suivi photographique des insectes pollinisateurs). Face au déclin des pollinisateurs pourtant indispensables pour la reproduction des plantes à fleurs, dont de nombreux fruits et légumes, cette équipe cherche à mieux connaître leur diversité et leur distribution sur la métropole bordelaise pour éclairer les politiques publiques en matière de conservation de la biodiversité. Pour les aider dans cette tâche, ils font appel aux citoyens de la métropole pour leur transmettre leurs observations d'insectes. Les premiers résultats montrent aujourd'hui que Bordeaux Métropole offre des espaces attractifs pour les pollinisateurs.
28 juin 2023
thematic Changement climatique et risques
Un consortium international de plus de 70 scientifiques vient de publier un article qui alerte sur les menaces que fait peser le dérèglement climatique sur les insectes, piliers du bon fonctionnement des écosystèmes. La synthèse parue dans la revue Ecological Monographs fait directement écho aux avertissements du GIEC sur les risques liés à l'augmentation rapide des températures moyennes du globe et l'intensification des événements extrêmes. Les scientifiques expliquent que si aucune mesure n'est prise, nous réduirons considérablement et définitivement notre capacité à construire un avenir durable basé sur des écosystèmes sains et fonctionnels. L'article formule plusieurs recommandations clés à adopter pour aider les insectes face au changement climatique. À la fois les pouvoirs publics, les scientifiques et l'ensemble des citoyens doivent être impliqués dans l'effort de protection.
16 décembre 2022