Caisse des Dépôts et Consignations

05/02/2024 | News release | Distributed by Public on 05/02/2024 03:40

L’eau perdue, la confiance aussi

Cet article clôt une série de notes qui a pour objet les obstacles qui entravent la gestion de l'eau et sa juste distribution entre les acteurs locaux dont les besoins divergent largement. Du constat des vastes incertitudes qui grèvent le champ de la connaissance - celle du climat (voir Retour sur la sécheresse 2023 : enseignements et projections 2050) ou de la ressource elle-même (voir Les limites de la connaissance de l'eau : enjeu des savoirs et maitrise de l'incertitude), découlent de profondes tensions entre les acteurs. Certains en profitent pour remettre systématiquement en cause les données scientifiques pour postuler que les calculs sont erronées et en conclure que les choix publics desservent leurs intérêts. De là, le doute s'étend à l'ensemble du processus qui cadre l'action publique.

Qui énonce la règle et de quel droit ? En d'autres termes, au nom de quel registre argumentaire une norme doit-elle être imposée ? Quelle place lui conférer dans le système plus large des valeurs collectives ? (voir SDAGE et SAGE. Cadre réglementaire et règles opposables en matière de gestion d'eau).
Les uns arguent de la souveraineté alimentaire qui exige d'assurer à tout prix l'alimentation collective quand les autres avancent le respect de l'environnement et celui de la biodiversité qui ne doit, à leurs yeux, ne souffrir d'aucune exception.

Efficacité pratique vs valeurs universelles

Le débat semble vicié, car en réalité il glisse rapidement vers les exigences morales du respect attendu de l'autre, et cela au nom de principes à première vue les moins contestables puisqu'ils concernent les services rendus à la collectivité. Il en est ainsi des principes dont s'enorgueillissent les exploitants quand il s'est agi au sortir de la Seconde Guerre mondiale de nourrir la collectivité tout entière et qui, en retour, en attendent reconnaissance et gratification. Une défense qui toutefois passe sous silence les dégâts de la modernisation dont ses bénéficiaires affirment maintenant, non sans raison, n'avoir pas été à l'origine puisqu'elle a été posée comme la condition première de l'efficacité de leurs services. La France entière en a bénéficié.

©Franco Nadalin / Adobe stock

Face à de telles revendications, que vaut l'argument des devoirs à rendre à la nature nourricière afin d'assurer aux générations futures la continuité de ce qui a été reçu en héritage, ce qui exige en retour la sobriété de la part de chacun ? Lui aussi est, à bien des égards, incontestable. Et si chacun s'entend pour penser que seule la « transition juste » peut garantir la paix sociale, comment l'entendre :« juste » pour qui ? Quand les exploitants rétorquent en termes d'équilibre économique et d'emploi local mais aussi de crédits accumulés et d'endettement, leurs opposants avancent les données tout aussi indubitables et fondées sur les conséquences destructrice non seulement sur la nature mais aussi sur la santé. Qui ne voit pas que, derrière ces arguments, se profilent les dimensions de l'incompréhension réciproque qui minent et ravagent les compromis sociaux ?

A la question de savoir qui construit la norme, sur la base de quelle référence historique, comment et pour quel public, s'ajoute celle de son incontournable acceptabilité. D'apparemment technique, l'enjeu se révèle en réalité politique et parce que le champ politique est sous-tendu par l'exigence de démocratie, c'est-à-dire de participation de chacun et de juste répartition des biens collectifs, le débat s'embrouille faute de réponse claire sur ce qu'est un bien, collectif ou commun, mais aussi sur ce qu'il privilégier :la démocratie directe ou la démocratie représentative. Et peu à peu, il s'embourbe dans les reproches ad hominem et la haine qui prélude au jet de lisier et de pierres, quand ce ne sont pas les grenades de la force publique censée ramener chacun à la raison.

Or, dans ce qui devenu une impasse sociale, on a oublié de dire que les volumes d'eau prélevés ont augmenté en fonction du rapport de forces qui s'est imposé à la faveur de la « modernisation » capitaliste enclenchée dans les années 1950. En Aquitaine, mais aussi en Rhône-Alpes, elle s'est jouée au profit des hydro-électriciens d'EDF à l'amont des fleuves, et des irrigants dans les vallées à l'aval ; c'est-à-dire en faveur d'un type donné d'économie agricole : celle de la grande agriculture que les « Trente Glorieuses » ont ensuite canalisée dans un « chemin de dépendance » où se sont trouvés étroitement noués la croissance des rendements d'une plante, le maïs - dont Nicolas Marjault rappelle opportunément que les surfaces sont passées en Nouvelle-Aquitaine de 500has dans les années 1970 à plus de 30.000 has trente ans plus tard générant des bénéfices et des subventions - à l'usage intensif des pesticides, au surinvestissement sur les parcelles, au suréquipement des exploitation et finalement, au surendettement des exploitants.

Ceux qui ont largement contribué à la mise en place de ce « système productiviste »sont connus : le Crédit agricole, la MSA, les organismes de commerce des produits phytosanitaires, ceux de la vente des machines, et plus loin la politique de la PAC. A raison, Nicolas Legendre parle à son propos de « fait social total ». Et c'est la PAC qui maintenant est dénoncée pour avoir favorisé la course à la valeur ajoutée des surfaces plantées de céréales aux dépends de l'élevage, s'étant ainsi rendue coupable d'une mise en dépendance délétère des exploitants au budget collectif. Un schéma de développement qui vaut aussi pour la Bretagne, champ d'expérimentation par excellence dont la France entière a bénéficié.

La confiance perdue ?

Une fois ce constat établi sur le« système productiviste »,que faire ? Comment rétablir le dialogue, dès lors que le constat est tiré que la violence n'est pas admissible et de toutes façons, ne mène à rien ? Comment refonder la confiance dans la capacité des instances collectives de négociation à créer du lien social ?

Sans doute faut-il insister sur la limite d'une stratégie consistant à ne compter que sur les seules déclarations d'engagement des exploitants agricoles (voir Quels outils pour préserver les zones humides et protéger la ressource en eau ? Le CEN). Faute d'avoir su énoncer précisément la limite où la règlementation, c'est-à-dire l'obligation, doit s'imposer nécessairement, il était écrit que les conflits en seraient la sanction.

Pour une responsable d'un groupe d'opposition aux bassines en Nord-Charente :