INRAP - Institut national de recherches archéologiques préventives

12/14/2022 | News release | Distributed by Public on 12/14/2022 11:58

Une nécropole d’enfants de la fin de l’époque gauloise et des vestiges d’habitat médiévaux à Jort (Calvados)

Les archéologues de l'Inrap mènent actuellement une fouille archéologique préventive à Jort (Calvados), rue du Lieutenant Paul Duhomme. Réalisée sur prescription de l'État (DRAC Normandie, Service régional de l'archéologie) et préalablement à l'aménagement d'un pavillon privé, cette opération complète et conclut la série de fouilles déjà effectuées depuis 2013 sur les parcelles adjacentes. Les interventions antérieures avaient mis au jour de nombreux vestiges d'habitats allant de l'âge du Fer à la fin du Moyen Âge, ainsi que des vestiges funéraires antiques et surtout, gaulois. Ces derniers incluent notamment une rare nécropole d'enfants. Une fois encore, les découvertes y sont nombreuses et variées. Plusieurs dizaines de nouvelles sépultures gauloises ont été mises au jour, ainsi que des vestiges d'habitats gallo-romains et médiévaux caractérisés par la présence de trous de poteau, de silos servant à la conservation de céréales, de fossés ou de fonds de cabanes destinés au stockage. La fouille a d'ores et déjà permis de recueillir un abondant mobilier comprenant certains objets rares, comme un instrument de musique en os daté du Moyen âge. Tous ces vestiges témoignent une fois encore de l'importance du village de Jort, héritier d'une bourgade fondée à l'époque gauloise à hauteur d'un ancien passage de la Dives et connu depuis le XVIIIe siècle pour avoir été le siège d'une importante agglomération antique (Divoritum).

Une rare nécropole d'enfants de la fin de l'époque gauloise

Les précédentes fouilles avaient permis la découverte de plus d'une centaine de sépultures, composée en majorité d'enfants et d'adolescents inhumés à la toute fin de l'Indépendance gauloise. La fouille de cette dernière parcelle permet de compléter le plan et l'étude de cette nécropole exceptionnelle. Seuls quelques rares ensembles funéraires dévolus aux enfants sont en effet connus des archéologues. Les pratiques funéraires révélées par la fouille sont homogènes. Les inhumations sont toutes d'origine et individuelles. Elles ont été déposées dans une fosse à la taille du défunt. La majorité d'entre elles sont dotées d'une alcôve ou niche creusée en sape dans l'une des parois. Les jeunes défunts ont été déposés avec soin, généralement sur le dos, dans cet espace creusé spécifiquement pour les accueillir. Dans une sépulture, une logette a même été creusée dans le calcaire pour former une sorte de coussin sous le tête d'un jeune enfant. Un quart des tombes comportent du mobilier funéraire déposé avec le squelette, un vase en céramique ou une fibule en fer. Ces pratiques funéraires sont inédites pour la période en Normandie. Elles témoignent d'un soin particulier accordé à ces jeunes défunts, décédés en grande majorité avant l'âge de quatre ans, en période périnatale ou durant leur première enfance. Une dizaine d'adultes ont également été inhumés parmi les sépultures d'enfants.

Cette nécropole pourrait refléter un épisode de mortalité inhabituel d'enfants, dans un contexte particulièrement troublé. La datation des tombes renvoie en effet à la guerre des Gaules, qui fut marquée dans la région par l'occupation de plusieurs légions romaines. L'étude paléopathologique menée en collaboration avec le Dr F. Boursier, médecin légiste et paléopathologiste associé au Musée de l'Homme (UMR 7206), montre par ailleurs que de nombreux enfants inhumés dans cette nécropole (39 %) présentent des lésions pathologiques et des carences nutritionnelles (scorbut) indiquant qu'ils sont probablement morts de faim. Ceci pourrait résulter de l'instabilité politique qui marque la fin de la période gauloise et en particulier de la présence de légions romaines dans cette région vers 52 avant J.-C., attestée par les commentaires de César lui-même. On sait que de telles occupations militaires se traduisaient généralement par des violences à l'encontre des populations et par la confiscation des vivres et du bétail nécessaires à leur survie.

Des vestiges d'habitat médiévaux et une découverte exceptionnelle

En plus de quelques vestiges gallo-romains, composés d'un fossé et de quelques fosses, se rattachant à l'agglomération antique de Jort/Divoritum, de nouveaux témoins d'occupation ont été reconnus pour le Moyen âge central (Xe-XIIIe siècles). Ils confirment qu'à cette époque, le village de Jort était plus étendu qu'aujourd'hui et comportait de nombreuses maisons à ossature de bois, réparties au sein de petites parcelles installées le long de la rue principale. L'un des silos à grains découvert cette année a livré une découverte exceptionnelle : un instrument de musique évoquant une flûte taillée dans un os animal, probablement un tibia de capriné.

Instrument de musique taillé dans un tibia de capriné daté de l'époque médiévale.

© Raphaëlle Lefebvre, Inrap

Long d'une vingtaine de centimètres, l'objet présente trois perforations du même côté, deux à une extrémité et la dernière à l'extrémité opposée. Les recherches en cours permettront d'établir s'il s'agit bien d'une simple flûte ou d'un élément appartenant à un instrument composite. Les céramiques découvertes dans ce même silo confirment sa datation médiévale. De telles découvertes ne sont pas fréquentes et concernent surtout l'Angleterre. L'étude de cet exemplaire, unique à ce jour pour la région, permettra d'en apprendre davantage sur les instruments de musique fabriqués et utilisés par les villageois normands au cours du Moyen âge.

Aménagement : privé
Contrôle scientifique : Service régional de l'archéologie (Drac Normandie)
Recherche archéologique : Inrap
Directeur adjoint scientifique et technique : Cyril Marcigny, Inrap
Responsable scientifique, archéoanthropologue : Raphaëlle Lefebvre, Inrap
Responsable du secteur médiéval : Vincent Carpentier