Université de Lausanne

04/15/2024 | Press release | Distributed by Public on 04/15/2024 03:53

Phasmes: entre sexe et jeu de cache-cache

Phasmes: entre sexe et jeu de cache-cache

Les modes de reproduction dans la nature sont multiples et parfois inattendus. Dans une étude parue dans la revue «Evolution», des scientifiques de l'UNIL recensent les différentes stratégies adoptées par les phasmes siciliens, allant d'un accouplement classique à une absence totale de père. Si, chez cet insecte, les mâles sont en option, les femelles, elles, restent indispensables.

Femelle adulte de Bacillus sur une des plantes dont elle se nourrit, le lentisque Pistacia lentiscus. © Guillaume Lavanchy, DEE-UNIL

Rois du mimétisme, les phasmes (Phasmatodea) représentent un ordre d'insectes dont la morphologie peut fortement varier: en forme de branche, de feuille, de tige épineuse ou encore d'écorce, ils se fondent dans leur environnement.

Ces arthropodes constituent l'un des sujets d'étude de prédilection du DrSc. Guillaume Lavanchy, ancien chercheur FNS senior dans le groupe de la Pre Tanja Schwander au sein du Département d'écologie et évolution de la Faculté de biologie et de médecine de l'UNIL. Le biologiste s'est intéressé de près à certaines espèces siciliennes de phasmes (Bacillus), qui défient les règles de la reproduction.

Ce travail, qui vient d'être publié dans la revue Evolution, a démarré en 2017 dans le cadre de la thèse du scientifique; il est l'aboutissement de nombreuses années d'investigations. Plusieurs sessions de terrain en Sicile ont été nécessaires pour dénicher ces insectes qui arborent un look en bâtonnets. «Leur jeu principal consiste à ressembler à des branches pour embêter les chercheurs qui les cherchent, s'amuse le premier auteur de l'article. Mais au-delà de leur incroyable capacité de camouflage, la ressemblance entre individus constitue un autre défi. Ils ont souvent "tous la même tête" et nous avons dû utiliser la génétique pour les différencier.»

Les cinq différents modes de reproduction chez les phasmes © Guillaume Lavanchy, DEE-UNIL

Une déclinaison de systèmes reproducteurs

Il existe différentes espèces de phasmes siciliens et, avec elles, autant de modes de reproduction, que le spécialiste a tenté de répertorier avec l'aide de ses collègues lausannois et italiens. «Certaines pratiquent la reproduction sexuée classique, comme cela est le cas chez la majorité des animaux. D'autres font de la parthénogenèse: il n'y a alors que des femelles, qui ne produisent que des filles. Il s'agit dans ce cas d'une reproduction asexuée, autonome. D'autres encore font un mélange: si une femelle trouve un mâle avec qui s'accoupler, elle se reproduira par sexe; sinon, elle fera de la parthénogenèse», énumère Guillaume Lavanchy.

Certaines femelles, qui sont des hybrides entre deux espèces, pratiquent une reproduction beaucoup plus improbable: au lieu de transmettre aléatoirement les gènes reçus de leurs deux parents, elles éliminent systématiquement les gènes venant de leur père et transmettent uniquement ceux de la mère. Par conséquent, une fois l'œuf fécondé, les bébés n'ont que trois grands-parents, car les gènes du grand-père maternel n'arrivent pas jusqu'à eux. «Ce système de reproduction, appelé hybridogenèse, est très rare dans la nature. Il n'est connu que chez les grenouilles vertes (présentes en Suisse), quelques poissons, un champignon et une sorte de puce», complète le DrSc. Alexander Brandt, postdoctorant dans l'équipe et copremier auteur de l'étude.

Finalement, on observe parfois des bébés phasmes qui ont uniquement des gènes de leur père, alors qu'ils éclosent bien d'un œuf pondu par une femelle. Ce mode de reproduction, baptisé androgenèse, est extrêmement rare et n'a été décrit dans la nature que chez très peu d'espèces, notamment des fourmis, un coquillage et un arbre. Ce qui se passe avec les gènes de la mère dans le cas de l'androgenèse est une question à laquelle les scientifiques essaient de répondre dans le cadre de recherches en cours.

Dans l'article publié dans Evolution, les biologistes ont vérifié avec des méthodes génomiques modernes les descriptions anciennes de ces cinq modes de reproduction. «Nous avons trouvé que l'hybridogenèse fonctionne tout le temps à 100%, c'est à dire qu'il n'y a jamais de "fuite", les gènes du père sont toujours éliminés en entier. Ces résultats contribuent à notre compréhension de la diversité des modes de reproduction dans la nature. Le fait que ces phasmes, qui se ressemblent tous comme deux gouttes d'eau, diffèrent autant dans leur stratégie reproductive était assez inattendu», conclut la Pre Tanja Schwander, directrice de l'étude.