12/09/2024 | News release | Archived content
Les collisions d'ions lourds au Grand collisionneur de hadrons (LHC) créent le « plasma quarks-gluons », un état chaud et dense de la matière qui aurait été prévalent dans l'Univers pendant environ un millionième de seconde après le Big Bang. Elles créent également des conditions favorables à la production de noyaux atomiques et d'hypernoyaux exotiques, ainsi que de leurs équivalents dans l'antimatière, les antinoyaux et les antihypernoyaux. Les mesures de ces formes de la matière sont importantes pour plusieurs raisons, notamment parce qu'elles nous aident à comprendre la formation des hadrons à partir des quarks et des gluons qui constituent le plasma, ainsi que l'asymétrie matière-antimatière que l'on constate dans l'Univers actuel.
Les hypernoyaux sont des noyaux exotiques constitués d'un mélange de protons, de neutrons et d'hypérons, ces derniers étant des particules instables contenant un ou plusieurs quarks dits « étranges ». Plus de 70 ans après leur découverte dans des rayons cosmiques, les hypernoyaux restent une source de fascination pour les physiciens, car on les trouve rarement dans la nature et il est difficile de les créer et de les étudier en laboratoire.
Dans les collisions d'ions lourds, les hypernoyaux sont créés en quantités significatives, mais jusqu'à récemment, seuls l'hypernoyau le plus léger, l'hypertriton, et son équivalent dans l'antimatière, l'antihypertriton, ont été observés. L'hypertriton est composé d'un proton, d'un neutron et d'un lambda (hypéron contenant un quark étrange). Un antihypertriton est composé d'un antiproton, d'un antineutron et d'un antilambda.
Après l'observation d'un antiatome d'hyperhydrogène-4 (état lié d'un antiproton, de deux antineutrons et d'un antilambda), annoncée cette année par la collaboration STAR au Collisionneur d'ions lourds relativistes (RHIC), la collaboration ALICE, l'une des expériences auprès du LHC, a annoncé avoir mis en évidence des indices probants - les premiers enregistrés à ce jour - d'un antiatome d'hyperhélium-4, qui se compose de deux antiprotons, d'un antineutron et d'un antilambda. Le résultat obtenu a une signification statistique de 3,5 écarts-types et Il s'agit de de l'hypernoyau d'antimatière le plus lourd jamais détecté au LHC.
La mesure d'ALICE est fondée sur les données de collisions plomb-plomb acquises en 2018 à une énergie de 5,02 téraélectronvolts (TeV) pour chaque paire de nucléons (protons et neutrons) entrant en collision. À l'aide d'une technique d'apprentissage automatique dont l'efficacité dépasse celle de toutes les techniques conventionnelles de recherche d'hypernoyaux, l'équipe d'ALICE a cherché dans les données des signes de l'hyperhydrogène-4, de l'hyperhélium-4 et de leurs équivalents dans l'antimatière. Les candidats à l'hyperhydrogène-4/antihydrogène-4 ont été identifiés par une recherche des produits de sa désintégration, à savoir un noyau d'hélium-4 et un pion chargé ; de même, les candidats à l'hyperhélium-4/antihyperhélium-4 ont été identifiés par une recherche de produits de désintégration constitués d'un noyau d'hélium-3/antihélium-3, d'un proton/antiproton et d'un pion chargé.
Les équipes d'ALICE ont mis en évidence les indices de l'antihyperhélium-4 avec une signification statistique de 3,5 écarts-types et ceux de l'antihyperhydrogène-4 avec une signification de 4,5 écarts-types. Elles ont en outre mesuré les rendements de production et la masse de ces deux hypernoyaux.
Pour les deux hypernoyaux, les masses mesurées sont compatibles avec les valeurs mondiales moyennes actuelles. Les mesures des rendements de production ont été comparés avec les prédictions du modèle statistique d'hadronisation, qui offre une bonne description de la formation de hadrons et de noyaux dans les collisions d'ions lourds. Cette comparaison montre que les prédictions du modèle coïncident étroitement avec les données si sont inclus les états excités et les états fondamentaux des deux hypernoyaux. Les résultats confirment que le modèle statistique d'hadronisation peut aussi fournir une bonne description de la production d'hypernoyaux, qui sont des objets compacts d'une taille d'environ 2 femtomètres (1 femtomètre = 10-15 mètres).
Les chercheurs ont également déterminé les rapports de rendement antiparticule-particule pour ces deux hypernoyaux et ont découvert qu'ils concordaient avec l'unité, dans les limites des incertitudes expérimentales. Ce résultat concorde avec l'observation faite par ALICE de la production de matière et d'antimatière en quantités égales aux énergies du LHC et vient s'ajouter aux recherches en cours sur le déséquilibre matière-antimatière dans l'Univers.