10/31/2024 | News release | Distributed by Public on 10/31/2024 03:51
Dans les forêts tropicales, des observatoires pour évaluer l'impact de l'exploitation du bois
Plinio Sist : « La sylviculture tropicale doit changer de paradigme »
Marie Ange Ngo Bieng
Guatemala, Guatemala
« Ce qui s'utilise se conserve. » Cette devise locale s'applique tout à fait à la Selva Maya… ou du moins ce qu'il en reste. Ce massif forestier, le plus vaste en Mésoamérique, constitue un corridor clé de biodiversité entre l'Amérique du Nord et du Sud. Un patrimoine remarquable tant du point de vue naturel que culturel puisque cette forêt abritait le cœur de la civilisation maya (250-950 après J.-C.).
Le nord du Guatemala héberge la Réserve de la Biosphère Maya (RBM), une partie de la Selva Maya, qu'elle partage avec les pays voisins (Belize et Mexique). Cette zone a un statut de réserve de biosphère depuis 1990. Il s'agit d'un statut de protection mis en œuvre par l'Unesco pour promouvoir un équilibre entre activités humaines, culturelles et conservation de l'écosystème naturel. Après 34 ans d'existence, les résultats de la conservation sont extraordinaires dans cette zone sous contraintes climatiques et anthropiques : les taux de déforestation sont quasiment nuls au sein des concessions forestières, quand ils sont historiquement trois fois plus élevés à l'échelle nationale, notamment au sein des aires protégées classiques.
Ce constat a priori paradoxal s'explique peut-être justement par le côté « utilitaire » des zones de concession forestière. « Pour le cas des 12 concessions forestières communautaires, les populations de ces zones passent un contrat avec le gouvernement par le biais du Conseil national des aires protégées du pays (CoNaP). Ces communautaires ont ainsi le droit d'exploiter et de commercialiser du bois et des ressources forestières non ligneuses dans un cadre stricte prescrit par le CoNaP, suivant notamment les règles du label international FSC (Forest Stewardship Council®), explique Marie Ange Ngo Bieng, écologue au Cirad. La pratique de l'agriculture est autorisée au sein des concessions forestières résidentes, mais là aussi dans le strict cadre de leur autoconsommation. Or, ces forêts sont soumises à d'intenses pressions, principalement agricoles, pour les remplacer par des zones d'élevage. La zone est ainsi très impactée par des incendies et par des activités liées au narcotrafic. »
La scientifique œuvre pour la conservation des forêts tropicales à travers leur exploitation durable. « Les systèmes de protection stricte sont inadaptés dans plusieurs paysages tropicaux anthropisés, remarque-t-elle. C'est pour ça que je travaille aujourd'hui davantage sur la gestion durable des forêts, avec l'hypothèse que, comme dans le nord du Guatemala, si elles ne servent pas, elles sont détruites. »
C'est dans cette optique que la chercheuse étudie les concessions forestières communautaires de la RBM. « Ces modèles de gestion forestière concertée attestent qu'une exploitation durable peut préserver l'écosystème forestier. » Suivant le cadre du CoNaP et les standards du label FSC, une moyenne de deux arbres par hectare sont abattus tous les 30 ans, il s'agit notamment des essences nobles comme la caoba (acajou américain). « Cette exploitation raisonnée est largement suffisante pour ne pas perturber la dynamique forestière, explique Marie Ange Ngo Bieng. D'autant, que les acteurs des concessions forestière scommunautaires aident la nature à se régénérer en replantant des arbres d'espèces locales issus de leurs pépinières. »
Cependant, l'avenir du modèle de communautés forestières du Petén au Guatemala est menacé par l'évolution des contextes politiques, l'insécurité foncière, le changement climatique et la mise en valeur du patrimoine archéologique.
L'association des communautés forestières du Petén (ACOFOP) va s'appuyer sur une collaboration scientifique de haut niveau pour innover dans la mise en œuvre de ce modèle communautaire. Cette collaboration va prendre corps au travers du projet ConForMA - vers la gestion forestière concertée du futur.
Financé par le Fonds français pour l'environnement mondial, ce projet va démarrer en janvier 2025 pour 3 ans et demi et sera coordonné par le Cirad avec l'Association des communautés forestières du Petén (Acofop) et des partenaires locaux (Catie, RainforestAlliance, Cemca, ATIBT).
« ConForMA ambitionne d'appuyer une gestion forestière communautaire innovante adaptée aux contextes de pression croissante sur les systèmes forestiers, de changement climatique, et intégrée au sein de territoires gérés de manière concertée, explique Marie Ange Ngo Bieng qui va piloter ce projet. Il intègre plusieurs de mes problématiques de recherche, en relation avec la compréhension fine du fonctionnement de systèmes forestiers sous pressions anthropiques et climatiques, et la mise en place de stratégies adéquates de préservation et de restauration de la biodiversité et services écosystémiques associés. »
« De plus en plus, dans les paysages tropicaux de l'anthropocène, notamment entourés d'autres usages de sol artificiels, plus productifs à court terme, il faut vraiment envisager d'associer la conservation de la forêt à de la production durable de ressource forestière. Et c'est l'un des intérêts de ce modèle de gestion forestière, conclut la chercheuse. D'autant qu'il illustre aussi l'énorme potentiel des populations autochtones et les communautés locales dans les actions de conservation des écosystèmes naturels. »
Le niveau de conservation dans ces concessions communautaires est quasiment inédit pour des fragments forestiers tropicaux de plaine à l'échelle mondiale !