Amnesty International France

04/10/2024 | Press release | Distributed by Public on 04/10/2024 10:23

Sri Lanka. Les responsables de l’application des lois doivent rendre des comptes pour les violations commises lors de manifestations

Usage illégal des gaz lacrymogènes, des canons à eau et des matraques

« Les gaz lacrymogènes ont été utilisés de façon inhumaine »

La police a régulièrement utilisé de grandes quantités de gaz lacrymogènes contre des manifestations pacifiques ou largement pacifiques dans la même zone, sans réellement donner la possibilité aux participant·e·s de se disperser et sans faire d'efforts raisonnables pour limiter les risques de blessures. Sur des vidéos authentifiées, on voit également la police utiliser canons à eau et gaz lacrymogènes contre des manifestant·e·s en grande partie pacifiques en 2023, sans qu'ils disposent de suffisamment de temps et de possibilités de se disperser, en violation du droit international, des normes internationales et des meilleures pratiques. Cette situation s'est répétée lors de divers rassemblements, notamment lors de la manifestation pacifique du 3 février 2023 à Colombo.

Thilina, journaliste et manifestant, a déclaré que la police a aussi utilisé des matraques à leur encontre : « Ils ont utilisé les canons à eau et les gaz lacrymogènes, puis ils nous ont poursuivis et nous ont frappés alors que nous nous dispersions. J'ai été frappé à coups de matraque sur le dos. »

La police a tiré des grenades lacrymogènes depuis l'arrière de la manifestation, alors que les participant·e·s tentaient de se disperser, en violation des normes internationales relatives aux droits humains. En outre, à plusieurs reprises, les mesures conservatoires adéquates lors de l'utilisation de gaz lacrymogènes n'ont pas été respectées et des gaz ont été tirés sur des zones où il n'y avait pas d'issue claire - à proximité d'écoles ou dans la rue - exposant inutilement les enfants et les passants aux effets des substances chimiques irritantes. Amnesty International a analysé au moins trois vidéos montrant des enfants qui se frottent les yeux, toussent et se sentent mal.

Upeksha*, un manifestant, a déclaré : « La police a utilisé des gaz lacrymogènes jusqu'à ce que les gens suffoquent. Nous sommes entrés dans un temple et nous nous sommes servis d'ustensiles et d'eau pour laver les yeux des enfants. »

« Les canons à eau ont tiré soudainement… Des jets continus. »

La police a utilisé des canons à eau à bout portant contre des manifestant·e·s pacifiques ou largement pacifiques et dans des situations où ils ne représentaient pas de menace pour les policiers et tentaient de se disperser. Elle les a aussi utilisés directement contre un journaliste qui effectuait un reportage en direct lors d'une manifestation à Colombo en juin 2023, alors que les appareils photos et des équipements médias étaient clairement visibles. Dans le nord du pays, un rassemblement majoritairement pacifique organisé par des familles de personnes disparues a été aspergé à coups de canons à eau.

Devika*, dont l'époux a été victime d'une disparition forcée il y a 15 ans, après la fin du conflit armé interne, a raconté : « Le jet a été dirigé sur mon visage, et j'ai été gravement touchée à l'œil. Mon œil s'est mis à enfler et je me suis évanouie. »

Absence d'enquête et d'obligation de rendre des comptes

« On aurait dit qu'ils punissaient les manifestant·e·s »

Malgré les violations généralisées des droits humains imputables aux forces de l'ordre et de sécurité, aucun policier ni aucun membre de l'armée n'a été poursuivi ou condamné pour usage illégal de la force lors des manifestations de 2022 et 2023. Cette absence d'obligation de rendre des comptes s'inscrit dans le contexte plus large de la culture de l'impunité, qui fait que policiers et militaires sont rarement amenés à répondre de violations des droits humains et qui incite les forces de l'ordre à continuer de réprimer violemment les manifestations.

En vertu du droit international, l'État sri-lankais est tenu d'enquêter de manière efficace, impartiale et opportune sur toute allégation ou tout soupçon raisonnable de violations des droits humains par les forces de l'ordre. Si les investigations révèlent des preuves crédibles suffisantes, les auteurs présumés de ces actes doivent être traduits en justice dans le cadre de procès équitables devant des tribunaux civils ordinaires. Cela s'applique aux responsables à tous les niveaux, y compris les hauts gradés.

Les autorités doivent enquêter sans délai sur toutes les allégations crédibles d'usage illégal de la force par la police durant les manifestations de 2022-2023, car l'absence d'enquête constituerait en soi une violation des droits humains.

Smriti Singh

« L'approche du maintien de l'ordre par la force brutale lors des manifestations n'est pas conforme au droit international ni aux normes internationales, et restreint le droit à la liberté de réunion pacifique au Sri Lanka, que garantit le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel le pays est partie. Les autorités doivent enquêter sans délai sur toutes les allégations crédibles d'usage illégal de la force par la police durant les manifestations de 2022-2023, car l'absence d'enquête constituerait en soi une violation des droits humains », a déclaré Smriti Singh.

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* Les noms ont été modifiés pour protéger l'identité des personnes interrogées.